
Face aux catastrophes climatiques, imaginer un futur désirable
The Green Shift Festival
Article de Charlotte Meyer publié le 14 juin 2025 dans le cadre du partenariat media entre Les Échos et le Green Shift Festival (voir l'article en ligne).
La troisième édition du Green Shift Festival, à Monaco, a laissé la parole à celles et ceux qui mettent en place des scénarios d'avenir où l'écologie aurait été victorieuse.
Olivier Wenden, vice-président et administrateur délégué de la Fondation Prince Albert II de Monaco, donne la couleur de la soirée. Alors que l'avenir se raconte, de plus en plus, sur des airs apocalyptiques, la plage du Larvotto se transforme momentanément en laboratoire d'utopies. A la tombée du jour, trois joyeux optimistes se lancent dans la confection de lendemains qui chantent à travers une conférence-spectacle participative.
« Ce n'est pas une fiction technologique. Ce n'est pas non plus une utopie molle. C'est un voyage mental joyeusement lucide », prévient Yasmina Auburtin, coordinatrice éditoriale pour So Good et So Good MAIF Festival.
À ses côtés, Hélène Binet, directrice de la communication et de l'éditorial chez Makesense, se veut « archiviste des victoires », quand Mathieu Baudin, historien et directeur de l'Institut des Futurs souhaitables (IFs), prend le titre de « collectionneur du futur ». « Ce n'est pas une prédiction, mais une permission, souligne ce dernier. Nous allons réaliser une uchronie dans le futur. »
Des abeilles et du rêve
Jardins partagés, semaine de quatre jours, reconnexion avec le vivant… Hélène Binet et Mathieu Baudin listent les victoires écologiques imaginaires. Dans ce 2050 idéal, le changement jaillit des soulèvements populaires. L'arrêt complet des pesticides à travers le monde aura été permis par le mouvement Fourchette Power, de grands banquets organisés à travers le monde pour réclamer l'interdiction de ces molécules, l'obligation pour les communes d'installer un marché municipal ou encore la généralisation des cours de cuisine pour toutes et tous.
« Nous devons le vendredi de repos aux étudiants qui, dès les années 2020, écrivaient des tribunes pour dire qu'ils n'iraient pas travailler dans des entreprises qui détruisent le vivant », suggère Hélène Binet en référence au discours d'étudiants d'AgroParisTech qui appelaient en 2022 à « bifurquer » lors de leur cérémonie de remise des diplômes. « Les jeunes ont lancé un grand mouvement de rêve général sous le slogan 'Vous volez nos rêves, vous aurez la grève'. Ils avaient une liste de revendication longue comme le bras et réclamaient la transparence des entreprises, l'impact sur la biodiversité, le respect des limites planétaires, la solidarité », renchérit Mathieu Baudin qui imagine passer ses vendredis « à être curieux », à la manière dont les Grecs pratiquaient l'otium,« un loisir fécond, une ascèse studieuse que les citoyens utilisaient pour construire leur jugement critique avant de s'insérer dans la société ».
Dans ce 2050 rêvé, les liens entre tous les vivants se ressoudent. La Déclaration des droits des vivants est inscrite dans la constitution et des personnes sont nommées pour faire valoir les droits de la nature, reconnaître son droit à exister et à se régénérer. L'idée se veut réaliste : depuis quelques années, certaines entreprises donnent déjà une voix à la nature au sein de leur conseil d'administration. Exit le service civique : désormais, les jeunes entre 18 et 25 ans suivent « un service de l'avenir », un service obligatoire destiné à inventer « ce qu'on ne peut pas imaginer dans le temps présent ». « En faisant des cours de futurs, on a libéré l'imaginaire d'une génération entière d'enfants qui ont considéré que demain sera ce qu'ils en feront », précise le directeur de l'IFs.
Réapprendre à imaginer
Si cette vision de 2050 a de quoi séduire, le public de 2025 a parfois du mal à y croire. Sur la plage du Larvotto, certains reconnaissent la digiculté de se projeter dans un futur désirable. Pourtant, l'une des clés pour une transition réussie pourrait bien résider dans notre faculté à imaginer. « Il nous faut oser inventer, continuer de croire au possible et ouvrir enfin la voie à de nouvelles formes de réussite, qu'elles soient collectives, durables et inspirantes », insiste Olivier Wenden en rappelant que nos sociétés ont déjà su se transformer dans le passé. Depuis peu, de nombreux collectifs émergent dans le but de proposer des scénarios d'avenir alternatifs. C'est notamment le cas de l'Institut des Futurs souhaitables. Créée en 2011, l'association se veut « une école de la prospective des souhaitables ». Elle promeut une approche apte à construire un avenir plus désirable à travers digérents outils. Elle propose notamment des expériences pédagogiques pour explorer les futurs, accompagne les organisations et territoires dans leurs transitions et incite à s'inspirer du vivant pour inventer des solutions résilientes. « Nous essayons d'imaginer un avenir aussi pragmatique que celles et ceux qui nous augurent le pire », explique Mathieu Baudin. Il le martèle : les histoires que nous nous racontons jouent un rôle puissant dans la fabrication de demain. « Depuis cinquante ans, nous imaginons forcément un futur sombre », regrette-t-il en s'inquiétant de notre vision « cassée » du futur. « A la Belle Epoque, nous pensions que demain serait nécessairement meilleur qu'aujourd'hui. Désormais, les utopies n'intéressent plus personne. Quelque chose s'est cassé dans le muscle de l'imaginaire. Pourtant, demain sera absolument ce que nous allons en faire. »
Dans la tradition de la Renaissance, l'IFs a ouvert à Paris un Cabinet de curiosités du futur, un dispositif artistique et pédagogique rassemblant une collection de dix-sept objets surprenants. Y sont consignés une rosace bio-inspirée halogène capable de transformer le CO2 en matière, un sac de luxe en cuir de champignon ou encore un traducteur de sentients, une canne multi-sensorielle qui augmentent notre perception du vivant.
Un enjeu démocratique
Loin d'être une lubie un peu naïve, notre capacité à mieux imaginer demain pourrait-elle donc être politique ? « On passe parfois pour les ravis de la crèche, reconnaît Hélène Binet. Mais si la colère et l'indignation sont un moteur, elles ne suRisent pas à construire quelque chose. » Depuis quinze ans, Makesense redonne aux citoyens le pouvoir d'agir à leur échelle pour inventer des solutions et des modes d'action qui font du bien au monde. « Nous souhaitons réhabiliter la joie du présent. Derrière chaque élément qui nous effraie se cache une solution. Notre ligne, c'est de donner de l'énergie et de l'espoir. » « Il y a une vertu à créer des parenthèses enchantées dans nos vies », acquiesce Mathieu Baudin qui en veut pour preuve l'énergie engendrée par les Jeux olympiques l'an dernier. « Un an avant, nous étions donnés perdant à tous les niveaux, que ce soit d'un point de vue sécuritaire, logistique ou touristique. Mais en réalité, l'égrégore [l'esprit de groupe, NDLR] a produit un événement formidable et bienveillant. On se rappellera qu'on n'y a pas cru et que, malgré notre petite croyance limitante, ça s'est quand même fait. » A la manière des explorateurs, le directeur de l'IFs appelle à créer de nouveaux horizons.
Aux yeux d'Hélène Binet, cette prise en main de l'imaginaire comporte un véritable enjeu démocratique. En invitant chacun à construire un avenir désirable, elle permet une participation citoyenne et pourrait ainsi embarquer une plus large partie de la population dans la transition écologique. « Quand on fait cet exercice, on a envie de croire à son côté autoréalisateur », agirme-t-elle. Alors que les mesures environnementales viennent d'entrer dans une phase de régression, la directrice de communication espère voir émerger des collectifs écologiques plus enthousiastes. « On a besoin de croire qu'on va y arriver pour ne pas se laisser complètement abattre », insiste-t-elle en appelant aux connexions les plus larges possibles pour éviter le repli sur soi. Ces dernières années, ces exercices de prospective ont gagné en reconnaissance. En 2024, un « Kit du futur » a par exemple été porté par l'Agence des sentiers, les éditions Wildproject, la Cité de l'agriculture et Territoires pionniers afin d'ouvrir des discussions sur l'avenir. Soutenue par l'Ademe, l'Assemblée citoyenne des imaginaires propose quant à elle une démarche expérimentale d'écriture collective pour imaginer les fictions du monde à venir. Toutes ces démarches naissent finalement d'une même volonté. A rebours du narratif pessimiste dominant, ils souhaitent faire émerger un récit écologique positif, stimulant et mobilisateur.
En illustration, les photos de la soirée « Bienvenue en 2050 » au Green Shift Festival, le 4 juin 2025 (©Philippe Fitte/FPA2).