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Sommet de la Gastronomie Durable 2023

Gastronomie

Parce que l’alimentation produit un tiers des émissions de gaz à effet de serre, la gastronomie se doit de questionner ses habitudes et ses modes de production. Face aux perturbations écologiques et climatiques, la cuisine des chefs peut servir d’exemple vers une transition en faveur de la préservation de la planète et de ceux qui l’habitent. Comme le souligne Olivier Wenden, vice-président et CEO de la Fondation Prince Albert II de Monaco, « les différents acteurs de la gastronomie ont un rôle important à jouer dans notre transition vers des systèmes agroalimentaires durables, inclusifs et résilients ». En explorant la chaîne alimentaire, depuis nos sols et nos mers jusqu’à nos assiettes, scientifiques, producteurs, chefs, élèves et acteurs écologiques ont partagé leurs expériences et leurs solutions innovantes pour renouer avec une approche respectueuse du vivant, qui assure un équilibre entre les ressources naturelles tout en conciliant les attentes des consommateurs et les activités économiques. Une mobilisation plus que jamais nécessaire, en vue d’agir, de s’engager et de bâtir la gastronomie du futur.


CULTIVER ET PÊCHER À L'ÈRE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Le rôle clé de l'océan dans l'atténuation du changement climatique n’est plus à démontrer comme le rappelle Eva Moreno, paléoclimatologue au Muséum d'histoire naturelle de Paris, et ainsi la nécessité de réduire les nombreuses pressions qui menacent les écosystèmes. Les pêcheurs artisanaux optant pour des méthodes respectueuses de l’équilibre océanique demandent à être soutenus par des règlementations gouvernementales pour favoriser le développement de ces pratiques. « En Méditerranée, nous limitons les zones de pêche, nous nous adaptons aux poissons que nous trouvons, tout comme les cultivateurs s'adaptent aux saisons », explique Sylvain Pagnon. Nombreux sont ceux, parmi les producteurs de produits halieutiques et aquacoles, qui ont entamé leur transition, à l’image de la société Lagosta qui promeut un élevage de langoustes européennes biologique et durable. Faisant le lien entre scientifiques, fournisseurs et consommateurs, Ethic Océan fournit des données sur l’état d’exploitation des espèces : « 86% des poissons sur le marché sont issus de la surpêche, mais la science nous permet d'établir des recommandations d'achat pour choisir des poissons qui ne sont pas surexploités », affirme sa directrice Elisabeth Vallet. Une approche similaire à celle du programme Mr. Goodfish dont la Fondation Prince Albert II de Monaco assure la coordination pour la façade
méditerranéenne depuis 2013, qui identifie des espèces « conseillées » selon les saisons et remet au goût du jour des espèces peu connues ou oubliées. Une dynamique qui se retrouve dans les pratiques agricoles, comme en témoigne Fabien Dumont, maraîcher à Saint-Rémy-de-Provence, qui effectue des recherches sur les légumes adaptés à nos nouveaux climats, comme certaines variétés anciennes, tomates de Sicile ou concombres ronds.


CUISINER DURABLEMENT

Les algues comestibles sont un exemple de solution : en plus de leurs multiples vertus, elles se régénèrent plus rapidement que les cultures terrestres, comme l'explique Jean-Marie Pédron, et sont cultivées sans engrais, ni herbicide, ni pesticide. Pourtant, malgré les 5 500 km de côtes françaises, seuls 5 % des algues du pays sont consommés – alors même que dans les années 1950, la cueillette des
algues était une pratique courante en France. Sur un autre terrain, Pierre-Édouard Robine, cueilleur de plantes sauvages pour
les grands restaurants, mais également écologiste et ornithologue, compare sa démarche à de la haute couture. « Plutôt que d'apporter des produits exotiques de l'étranger, on peut trouver des plantes sauvages extraordinaires chez soi », confie celui qui déniche ses nouveaux ingrédients à Écouché-les-Vallées, dans le département de l'Orne en Normandie.


"La nature est ma première source d’inspiration. Sans une agriculture et une pêche responsable, la cuisine s’éloigne de l’essentiel."
- Alain Ducasse


Les chefs étoilés Ducasse et Colagreco témoignent tous deux d’un fort attachement à la cuisine locale. Au restaurant Le Mirazur à Menton, Mauro Colagreco, qui dispose d'un jardin de 3 hectares, explique : « Si tout le monde ne peut pas cultiver ses propres produits, tout le monde
peut choisir de travailler avec des fournisseurs artisanaux de qualité »
. Une démarche au coeur de la formation des nouvelles générations comme le souligne Alain Ducasse : « Nous avons 2 000 étudiants dans le monde qui apprennent l'art de la cuisine française : cuisiner, s'approvisionner de manière responsable, réduire les déchets et respecter l'environnement. Engager ces chefs de demain est l'un des moyens d'accélérer le mouvement ».


S’ENGAGER POUR UNE GASTRONOMIE DURABLE

Si les labels sont un moyen pour les restaurateurs de mettre en avant leurs engagements en matière de développement durable et offrent de nouveaux critères de sélection aux consommateurs, ces outils doivent s’inscrire, comme le. propose Fanny Giansetto, cofondatrice du label Écotable, dans un mouvement de mobilisation plus large « pour aider les restaurants à comprendre leur impact sur l'environnement et leur montrer comment ils peuvent adopter des pratiques durables à un prix abordable ». « En réduisant le gaspillage alimentaire, on peut augmenter le chiffre d'affaires de 30 % », précise-t-elle. Autre exemple : l’étoile verte Michelin qui vise à récompenser les chefs audacieux qui, dans le monde entier, font progresser la gastronomie durable. « Nous n'avons jamais été autant sollicités par des établissements désireux d'obtenir cette distinction. L'étoile verte a créé une communauté fédérée de restaurateurs et les clients deviennent des ambassadeurs de la démarche », déclare Élisabeth Boucher Anselin, directrice de la communication du Guide Michelin. Dans une même envie de privilégier la qualité, Terroirs d'Avenir a créé un réseau « à petite échelle » avec 300 agriculteurs ruraux en France, en Italie et en Espagne. D’autres, renouent avec des traditions comme Dieuveil Malonga, chef de Meza Malonga et entrepreneur social, qui a passé deux ans à parcourir le continent africain pour « enregistrer des recettes transmises par tradition orale et les faire vivre en formant de jeunes aspirants cuisiniers ».


"Nous façonnons le monde dans lequel nous vivons par la façon dont nous choisissons de manger."
- Mauro Colagreco

RÉTABLIR L’EDUCATION ALIMENTAIRE

À travers l'éducation et la sensibilisation à une culture alimentaire saine et durable, les élèves acquièrent des connaissances liées aux produits de consommation et des compétences pratiques pour bien manger et cuisiner. Les cantines scolaires, premier vecteur de transmission du modèle alimentaire français, se doivent donc d’intégrer ces enjeux. Le député-maire de Mouans-Sartoux Gilles Pérole décrit avec enthousiasme son projet : « Nous ne pouvions pas trouver de légumes biologiques locaux, alors nous avons décidé de les faire nous-mêmes (…) La cafétéria de notre école est aujourd’hui 100 % durable, biologique et aussi locale que possible, la majorité des produits étant cultivés dans notre ferme municipale ». Un exemple largement suivi avec plus de 85 fermes municipales en France. Camille Labro, quant à elle, a lancé en 2009 le mouvement de l'École Comestible pour sensibiliser les enfants dès l’âge de 4 et 5 ans. Corinne Mbow, directrice Marketing Elior Group, évoque la prise de conscience collective qui se dessine : « Notre levier, c'est le plaisir de la table, l'éducation alimentaire, la sensibilisation de nos enfants, les cours de cuisine dans les écoles. Je pense que c'est comme cela que nous changerons les choses à long terme et que nous influencerons les décideurs ». Les professionnels de la gastronomie ont également un rôle à jouer pour s’adapter aux changements de l’alimentation. C’est le cas avec Cap Veggie, créé par Laure Mardoc, qui a permis de former, en deux ans, 600 chefs et leurs équipes à la cuisine végétarienne.


QUEL EST L’AVENIR DE LA GASTRONOMIE ?

Audrey Bourolleau, fondatrice d’HECTAR, dresse le constat d’une agriculture laissée pour compte dans la chaîne de valeur « de la ferme à la table » : « Aujourd'hui, la moitié de la terre agricole française est dégradée. Nous devons passer à une culture durable et restaurer les sols morts, mais les agriculteurs ont besoin de notre soutien. Ils méritent d'être valorisés et rémunérés à juste titre, et leur profession doit recevoir le prestige qu'elle mérite. » Pour relever ce défi d’avenir, Christophe Joublin, président de l'Association Française des Lycées d'Hôtellerie et de Tourisme, plaide pour une approche holistique des programmes nationaux d'enseignement de l'hôtellerie et de la restauration. Il évoque la nécessité de « faire des ponts entre les générations » pour traiter des questions de durabilité, de nutrition, de santé, de saisonnalité, d'approvisionnement responsable et de réduction des déchets, mais aussi l’importance d’impliquer tous les acteurs dans cette démarche. De nouveaux enseignements qui portent déjà leurs fruits : Romain Guth, élève à l'École Ducasse, raconte la façon dont l’établissement a éradiqué le gaspillage alimentaire de l'équation culinaire et Lisa L'Hostis à l’école culinaire FERRANDI en appelle à des efforts en matière de durabilité jusqu’en dehors de l’assiette comme pour le choix des matériaux de construction et de l'ameublement des restaurants. Les tendances évoluent, comme le constate Manon Dugré, coordinatrice de la chaire ANCA AgroParistech, pour qui la question des protéines animales s’est imposée comme un véritable sujet de cuisine et de société. « Entre 1950 et 2000, la consommation de viande a été multipliée par cinq alors que la population n'a fait que doubler ». Pour changer les habitudes et lutter contre les idées reçues, un seul mot d’ordre : rendre la cuisine durable à la portée de tous.

Moët Hennessy, activité vins et spiritueux du groupe LVMH, est par nature intimement lié avec la gastronomie et aux métiers de bouche. Tout comme ce qui compose notre assiette, nos produits sont issus de terroirs et résultent d'un savoir-faire unique qui se perpétue depuis plusieurs générations. La durabilité est donc un facteur fondamental de notre modèle. La gastronomie durable est un véritable levier de transformation pour intégrer la transition environnementale et sociale nécessaire pour le monde de demain. A l’instar du World Living Soils Forum dont la prochaine édition aura lieu les 9 et 10 octobre 2024, le Sommet de la Gastronomie Durable permet de rassembler toutes les parties prenantes d'un écosystème et d’avoir ainsi plus d'impact.
- Sandrine Sommer, Directrice du développement durable - Moët Hennessy
En mobilisant tous les acteurs de la chaîne agroalimentaire, nous tenons à nous engager concrètement pour une cuisine de bon sens.
- Alain Ducasse


Crédit photo : ©Philippe Fitte / FPA2